Là où les hommes rencontrent les Dieux

C'est le déluge. Dans la jeep qui nous emmène à Gangtok, on est secoué à chaque virage et chaque trou, et le petit-déj ne tient qu'à un fil dans mon estomac. Là où les hommes rencontrent les Dieux, ces derniers sont en pétard, et les nuages accrochés aux montagnes escarpées sont plus bas que le ciel de Belgique. Compressés à quatre sur le même siège que nous, nos compagnons de voyage ont changé de profil. Un moine bouddhiste, des hommes à l'air alcoolisé, des femmes et des enfants. Tous ont un visage asiatique ; des yeux bridés, une peau claire et le sourire.


Nous voilà au Sikkim après 2300 kilomètres de train à travers le pays et sept heures de retard. Les sommets enneigés sont restés cachés aujourd'hui, et il nous tarde de les apercevoir.


Plusieurs raisons nous ont poussés à venir voir cette région coincée entre le Népal et le Bouthan et à passer autant de temps dans les transports. D'abord, on ressent un peu le besoin de respirer, de s'éloigner de la chaleur et des foules en prenant un peu de hauteur. Et puis ici, la montagne et ses beautés s'ouvrent à nous. On veut marcher, s'élever, découvrir la culture traditionnelle et spirituelle du Sikkim, à majorité bouddhiste.

 

La région de Yuksom rassemble toutes nos attentes. On commence par marcher seuls sur des sentiers reliant des villages isolés, des lacs sacrés et des temples. Sur les pentes vertigineuses de cette région d'Himalaya, les cultures en terrasses s'étalent entre des chemins escarpés. Des hommes et des femmes qui ont l'air plusieurs fois centenaires portent des dizaines de kilos de bois ou de fourrages sur des kilomètres. Ils fument des cigarettes alors qu'on s'essouffle en s'appuyant sur nos cannes de bambous.

Chaque temple et chaque lieu sacré est entouré d'une muraille de drapeaux de prières. Tendus le plus haut possible, entre des arbres ou des rochers, les prières des fidèles s'envolent avec chaque souffle du vent, nuit et jour, toute l'année. Et nous on médite en les regardant, avec en toile de fond les hauts sommets enneigés dominés par le Kangchenjonga, 3ème plus haut sommet du monde.


Une randonnée plus sérieuse nous emmène jusqu'au col de Dzongri, à 4500 mètres d'altitude, où la vue, lorsqu'elle est dégagée, est imprenable sur le massif du Kangchenjonga, le mont Pandim, et bien d'autres.

 

Avant de redescendre dans les plaines, on passe par Darjeeling, haut-lieu de la colonisation britannique. Cette ville a explosé et est restée une destination touristique très courue, aussi bien par les indiens que par les étrangers. On vient ici pour fuir la chaleur étouffante des plaines, pour marcher, pour admirer la chaîne himalayenne, ou simplement pour se montrer dans les salons des grands hôtels. On vient aussi ici pour le thé, le plus réputé du monde, et aussi le plus cher. Les champs de thé s'étalent en volutes teintées de verts et de jaunes, à perte de vue sur les collines. Il n'y a plus d'arbre et on pourrait penser que la terre est désolée. Les forêts ont été remplacées par des plantes plus lucratives, même si cela ne rapporte qu'aux plus riches, et souvent aux exploitants étrangers. En redescendant vers New Jalpaiguri, on jette encore un dernier oeil à ce "Gorkhaland", l'état autonome tant espéré par les locaux.