Turkiye – Yeni Bölüm : Je misafire, tu misafires, il misafire

En partant de Konya, on s'apprête à découvrir un nouveau verbe : 'misafirer'. Quasiment tous les soirs, on se fait misafirer par des turcs. Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, me direz-vous??? Le suspense est aussi intense que dans une série turque en 120 épisodes... « Misafir », ça veut dire « invité ». Mais attention, pas n'importe comment. En Turquie c'est la totale, chaussons et bidons bien tendus à la fin du repas. Dans une maison turque, il y a toujours une pièce avec un canapé convertible d'une place et demi pour que d'éventuels cyclo-voyageurs puissent reposer leurs cuisses. Dans la maison turque, il y a aussi la télé. Outil indispensable à la vie, elle est allumée à la première heure, crache de la délicieuse pop turque, et reste allumée jusqu'au soir présentant des dizaines de séries turques, les fameux 'dizi filim'.

 

Nos sitcoms ne leur arrivent même pas à la cheville, et Hélène et ses garçons peuvent aller se rhabiller. Pour vous donner une meilleure idée, voilà ce qu'il vaut faut pour faire un bon 'dizi filim':

  • d'abord un ami chez qui travaille chez Ikéa (Practiker ici) pour pouvoir tourner dans les chambres et les cuisines.

  • des comédiens très expressifs du visage

  • 30 minutes de dialogue pour 90 minutes d'épisode

  • des cameramen qui ont un peu la tremblotte et des monteurs qui savent utiliser toutes les options de fondus

  • des rebondissements (exemple : Ebru se rend compte que ça fait deux ans qu'elle a une relation avec son frère, qui a une maladie incurable mais elle est mariée depuis 10 ans avec son oncle, mais ça elle ne le saura qu'au prochain épisode!)

  • des larmes (plein!)

  • des comédiens qui savent pleurer et rire en même temps

  • un flouteur qui s'occupera de flouter les cigarettes et verres d'alcool

  • une télé allumée (faut que ce soit réaliste!)

  • des photos de mariage bien kitsch accrochées aux murs et seulement du thé à boire

  • des apartés : on entend la voix du comédien dans sa tête

 

Bref, c'est très bon, il y en a pour tous les goûts et on en redemande. On finit par reconnaître les séries, et on a même nos préférées.

 

On prend nos habitudes chez les gens : enlever les chaussures avant d'entrer, s'asseoir sur des coussins par terre, manger en tailleur autour d'un grand plateau recouvert de plein d'assiettes remplies de bonnes choses, mettre les sandales pour aller aux toilettes (turques) ... A chaque fois, on nous demande à quelle heure on se couche. Si on dit 22h, à 21h59 le père vire tout le monde du salon pour qu'on puisse se coucher. On dort comme des bébés en rêvant du petit déjeuner qui nous attend le lendemain matin. Aaaaah le ptit déj! A chaque fois différent, mais toujours bien costaud!

 

Non seulement les Turcs sont d'une générosité incroyable, mais ils sont aussi d'une grande ouverture d'esprit. Voir débarquer soudainement un couple de vélocipèdistes dans le petit salon de thé de son tout petit village, ça peut rendre béas quelques hommes (pas de femmes dans les cafés). Mais une fois les quelques minutes de silence et de fixette bouche grande ouverte, il y a toujours un volontaire pour s'asseoir à notre table et poser les questions que tout le monde se pose. Après, c'est un peu comme la « Ola » dans une arène: les réponses font le tour de la salle... « bisiklet », « Belcicada burada » (de Belgique jusqu'ici), « Ayle fransada » ( famille en France), « beş ay » (5 mois), « beş bin kilometre» (5000 kms), « Hindistan! » (Inde)... Et puis c'est parti! Au programme: visite du village, viens manger par ci, viens dormir par là, viens goûter ceci, viens boire cela...

Toute la soirée, questions et conseils fusent. Entre 2 malentendus-fou rires, des bribes de cultures passent...

 

 

Sur la route, on prend le temps de s'arrêter et de papoter à chaque occasion. On s'enfile une dizaine de çay (thés) par jour... et la langue turque s'infiltre progressivement dans nos neurones. On peut maintenant tenir quelques conversations, avec l'aide précieuse de notre pote « Sözlük, le dictionnaire ». Pour simplifier un peu les explications, on s'est inventé de nouvelles carrières: Julien est réparateur de vélo (mmmmhhhh) et Stef est institutrice (Oooohhhh! Ça c'est un beau métier madame!). Et ouais, dire qu'on est instit' ici, ça fait un tabac! D'ailleurs on est passés devant quelques cours de récré, et ça fait tellement hurler les mômes de nous voir passer à vélo qu'on n'hésite pas à s'arrêter faire des mini-conférences!

 

Les Turcs s'occupent de nous aussi quand on a un problème mécanique sur les vélos. On décharge le vélo en panne, Julien met les mains dans le cambouis, et dans la minute qui suit, on est entourés d'une demi-douzaine d'assistants qui offrent leur solution universelle à tout problème : le gros marteau!!!

A Ceyhan, grosse panne sur Musclor. La pédale droite vissée de travers, a bousillé le filetage en alu de la manivelle. Julien imagine déjà comment faire venir un nouveau pédalier de Belgique, et les outils pour le remonter... Mais nous sommes en Turquie, et tout ou presque se répare. Au final le problème est réparé et c'est encore plus solide qu'avant. En Belgique ou en France, on nous aurait déjà mis un nouveau pédalier à 149,99€ hors main d'œuvre, mais on s'en sort pour 15€, prix de touriste.

 

Notre trajet de Konya à Antakya nous aura amenés dans des paysages superbes. D'abord, la traversée du plateau quasi désertique, de Konya à Aksaray. Ensuite on s'est aventurés dans la tant attendue Cappadoce. Les cités souterraines, les cheminées de fées, les couleurs, le soleil, les habitations troglodytes. Et puis en redescendant vers Adana, on a eu la bonne idée de longer les monts du Taurus sur une route magnifique. De belles descentes, quelques côtes, des sommets enneigés, des bergers et des sourires!

 

Le pays est immense, et à chaque étape, on se dit qu'on n'en voit pas le bout... En arrivant dans l'antique Antioche (Antakya), on passe la barre des 5000 kilomètres. On roule maintenant vers la Syrie, mais ce n'est qu'un « au revoir » à la Turquie qu'on aime tellement... on revient dans un mois!

 

5000 kilomètres, 5 mois et des poussières de voyage, beaucoup de rencontres, des émotions, des images plein la tête, mais l'envie d'aller encore plus loin, d'en prendre encore plein les mirettes, plein les oreilles, plein, plein, plein...

Çok güzel !!!

Ah la Turquie! La fin de l'Europe, le début de l'immense continent asiatique...

 

Le 22 janvier, nous partons guillerets sur nos bicyclettes, sur les routes glacées bulgares pour rejoindre la frontière turque. Il doit faire -15°C et le vent du Nord à donner la chair de poule à un pingouin ne nous aide pas vraiment. A la frontière, fait tourner les têtes. Ca doit être notre charisme naturel. Ou alors, on passe pour de vrais cinglés. J'opte pour la seconde option lorsque le douanier, le sourire aux lèvres, nous prend en photo avec son téléphone portable. Nous voici en Turquie, et le vent redouble d'intensité. On veut faire les malins, mais comme on dit 'qui fait le malin tombe dans le ravin!'. Effectivement, dans une bourrasque, Stef est éjectée de la route et se retrouve le cul dans la neige, et le vélo par-dessus. Impossible d'aller plus loin, alors on pousse les vélos jusqu'à un hôtel 100 mètres plus loin. L'escroc qui nous accueille nous demande 80 liras (40€), et c'est un bon prix, parce que c'est nous! De toutes façons on n'a pas d'argent, alors on se décide à faire du stop (oui oui, avec des vélos!). Après tout il n'y a qu'une seule route et plein de camions alors il y a bien quelqu'un qui va nous prendre!

 

Je m'installe au bord de la route, à côté du camionneur qui répare la bâche de son camion arrachée par le vent. Je tends mon pouce dans ma moufle et après 5 minutes qui en paraissent 40, une camionnette s'arrête. Les deux livreurs de cacahuètes vont à Edirne, si j'ai bien compris avec ma connaissance nulle du turc. En fait, je me suis trompé; ils nous lachent au milieu de nulle part. En déchargeant les vélos, je me demande bien comment on va pouvoir installer la tente avec ce vent. Plus vive d'esprit que moi, Stef a déjà repéré le camion qui arrive au loin. Elle tend le pouce, le camion s'arrête. Le chauffeur s'appelle Ilkay (prénom de circonstance) et après 10 minutes il nous annonce qu'on est invités chez lui à Edirne. L'accueil est grandiose. On mange, on boit des bières, on apprend à jouer au Okey, et toute les soeurs et la grand-mère nous invitent tour à tour à manger. On restera 3 jours. Quand on se décide à partir pour Istanbul, Ilkay nous dégote un camion pour nous avancer. On n'en a pas vraiment besoin mais on accepte, et le chauffeur nous dépose à 15 kilomètres de Corlu. Le froid est piquant (-12°C), mais il fait beau, alors on va rouler. Après 10 minutes courtes mais rafraîchissantes, une camionnette s'arrête à notre hauteur, et le chauffeur nous interpelle d'un 'Istanbul?'. D'accord! De toutes façons, l'entrée dans Istanbul à vélo, c'est 30 kilomètres de cauchemar sur autoroute, alors ça nous arrange bien. Il nous dépose devant notre future maison pour 18 jours.

 

A Istanbul, c'est Şevket qui nous accueille. Il ne le sait pas encore, mais on va squatter son appartement pendant quelques temps.

Istanbul est gigantesque. On se rend vite compte de ce qu'est une ville de 15 millions d'habitants, et les sentiments se mélangent. On est un peu perdus dans le brouhaha de la ville, puis on prend nos repères et nos petites habitudes, on rencontre des gens, Isa et Géraldine nous rendent visite et rendent nos journées plus palpitantes encore, on attend une météo plus clémente.

C'est un peu difficile de décrire ces 18 jours, alors je vais essayer de vous passer des bribes de ce qui nous a marqué à Istanbul.

 

Les sons : l'appel à la prière et la chorale des mosquées, les mouettes, les chants des supporters de Fenerbahçe, les cris des vendeurs de Simit et des ferrailleurs, la pluie sur nos capuches, les cuillères qui mélangent le thé, les pions qui claquent sur les plateaux de tavla, les klaxons, le rire d'Isa (inimitable) et celui de Gé (vibrant), les musiciens de rue...

 

les odeurs : les poissons grillés le long du pont Galata, le marché aux épices, les pots d'échappement,...

 

les goûts : la soupe Mercimek, le çay, la moussaka, les baklavas, le raki, les böreks, le chocolat côte d'or aux speculoos que les filles nous ont amenés...

 

les images : les voûtes de la mosquée de Sultanahmet, les bateaux sur le Bosphore, la vue de chez Şevket et Kathy, la neige, les vendeurs de parapluie ou de cache-oreilles, le quartier de Taksim le samedi soir, les séries télé partout tout le temps, le jaune dans le stade de Fenerbahçe,

 

Isa et Géraldine devraient rendre leur rapport bientôt et se feront un plaisir de décrire leur semaine, et de rassurer nos mamans et mamies par un ''ils vont bien, ils mangent bien!''.

 

Pour partir d'Istanbul, on décide de faire un grand bon. On prendra le bus grand confort pour Konya, soit un saut de puce de 600 kilomètres environ, et en route pour la Cappadoce!